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Pénuries dans le domaine jurilangagier au Canada : une question nuancée

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Depuis un certain temps maintenant, le monde jurilangagier est touché par une pénurie de professionnels et de professionnelles au Canada. C’est du moins ce qu’indique un rapport commandé par l’Université de Saint-Boniface en 2016 et ce dont ont discuté de nombreuses associations professionnelles liées de près ou de loin au langage du droit. Pour étudier la question en de plus amples détails, l’Alliance interuniversitaire canadienne pour l’avancement des professions jurilangagières (AICAPJ) a produit un rapport en mai 2025 dans lequel elle fait état de données précises sur la pénurie de jurilangagiers et de jurilangagières. Ces données ont été recueillies par l’entremise d’entrevues et de sondages faits avec les acteurs du milieu, soit les langagiers et les langagières, et leurs employeurs.

Le rapport constate non seulement que la pénurie varie selon la profession — elle concerne plus les interprètes judiciaires que les traducteurs et traductrices juridiques, par exemple — mais surtout que la gravité de la pénurie de jurilangagiers et de jurilangagières ne fait pas consensus dans le domaine. Les employeurs, qui relèvent tous du secteur public, ont affirmé qu’il ne manquait pas de jurilangagiers et de jurilangagières dans leurs équipes, ce qui va à l’encontre des observations contenues dans le rapport précité de 2016. Il serait plutôt question d’un manque de financement nécessaire au maintien ou à la création de postes dans le domaine.

Du côté des jurilangagiers et des jurilangagières qui estiment qu’il y a bel et bien une pénurie, les raisons mentionnées pour l’expliquer sont variées : rémunération peu attrayante, conditions de travail difficiles, manque de flexibilité quant au télétravail, rareté des formations spécialisées dans le domaine, etc. Ils témoignent en outre du fait que la pénurie entraîne des conséquences telles qu’une surcharge de travail, la détérioration des conditions de travail, une baisse de la qualité, le recours à des personnes dont l’expérience ou les compétences sont insuffisantes et le non-respect de certaines échéances. Pour remédier à la situation, on parle non seulement d’accroître l’offre de formation spécialisée tant en traduction juridique qu’en interprétation judiciaire et d’améliorer les conditions de travail, mais également de travailler sur la reconnaissance et la visibilité de la spécialité au sein des milieux professionnels et universitaires.

En résumé, la pénurie de jurilangagiers et de jurilangagières fait débat quant à son ampleur et au contexte dans lequel elle se manifeste (sous-domaine, région, degré de spécialisation, etc.). La conclusion exploratoire de l’étude consiste à dire que les grands employeurs en traduction semblent épargnés dans l’ensemble par la pénurie. Une étude auprès de milieux à moindre volume de travail serait pertinente pour raffiner cette conclusion.

Les jurilangagiers et les jurilangagières, des spécialistes épanouis

Tant les traducteurs et les traductrices juridiques que les interprètes judiciaires ont été sondés sur leur degré de satisfaction vis-à-vis de leur travail et sur les enjeux qui les préoccupent. Dans les deux cas, la proportion de répondants se disant « assez » ou « très » satisfaits est supérieure à 60 %. Pour ce qui est des traducteurs et des traductrices consacrant au moins la moitié de leur temps de travail à ce domaine, cette proportion est d’environ 95 %. Les principales raisons derrière ces proportions élevées concernent la satisfaction personnelle quant aux aspects juridiques et linguistiques du travail ainsi que la portée sociale de la profession qui s’incarne notamment dans l’accès à la justice. Plus de la moitié des traducteurs et des traductrices juridiques et des interprètes judiciaires consacrant au moins la moitié de leur temps de travail à ces professions les recommanderaient comme choix de carrière.

Cependant, lorsqu’elles sont sondées sur les obstacles et enjeux liés à leur profession, les personnes répondant au sondage soulèvent des préoccupations sur le plan des conditions de travail et mentionnent plus particulièrement les délais trop serrés du côté de la traduction juridique et l’instabilité d’emploi comme la rémunération du côté de l’interprétation judiciaire. Les personnes sondées qui consacrent moins de la moitié de leur temps de travail au domaine juridique ou judiciaire mentionnent le peu d’occasions de travail, la rémunération inadéquate et le manque de formation spécialisée comme raisons principales pour ne pas exercer plus souvent des tâches relevant du domaine.

De manière plus rassurante, près de 60 % des répondants et des répondantes affirment songer « rarement », voire ne « jamais » songer à ne plus faire de traduction juridique ou d’interprétation judiciaire. La principale raison évoquée est, encore une fois, la passion pour le domaine. En ce qui concerne les 40 % qui songent « parfois », « souvent » ou « très souvent » à délaisser la traduction juridique ou l’interprétation judiciaire, ils citent avant tout les enjeux mentionnés précédemment, lesquels ont à voir avec les conditions de travail.

On peut donc conclure à partir de ces résultats que malgré l’exigence en matière de minutie et de rigueur propre aux professions jurilangagières, le problème ne relève pas d’un manque d’intérêt pour le domaine. Au contraire, les jurilangagiers et les jurilangagières semblent passionnés et motivés par leur profession et, de ce fait, songent peu à changer de carrière. Il s’agit plutôt d’une part d’un enjeu lié aux conditions de travail, lesquelles n’incitent pas les langagiers, les langagières et les juristes à se spécialiser en traduction juridique ou en interprétation judiciaire, et d’autre part, d’un manque de formations spécialisées destinées à celles et ceux qui auraient un intérêt à entamer une carrière dans le domaine.

Les pistes de solutions Ă  envisager

Bien que la gravité des pénuries de main-d’œuvre dans les professions jurilangagières ne fasse pas consensus, de nombreux enjeux et obstacles concernant le recrutement et la rétention de professionnels et professionnelles du domaine ont été évoqués, tant par les spécialistes eux-mêmes que par leurs employeurs. À la lumière des entrevues et des sondages effectués auprès des divers intervenants, plusieurs pistes de solutions ont été proposées. Celles-ci commencent par la promotion des carrières jurilangagières auprès de la communauté étudiante des programmes de lettres et de droit. Elles passent inévitablement par la valorisation de ces professions et l’amélioration des conditions de travail de ces spécialistes. Favoriser la flexibilité au travail, notamment par la possibilité de faire du télétravail, permettrait également d’atténuer les problèmes de recrutement relevant de considérations purement géographiques. Enfin, il ne faut pas oublier l’importance d’accroître l’offre de formation spécialisée en traduction juridique comme en interprétation judiciaire, tant pour les personnes aux études songeant à faire carrière dans le domaine que pour les langagiers et les langagières à la recherche d’une formation continue pour perfectionner leurs compétences jurilangagières. En somme, la mise en œuvre de ces pistes de solutions devrait permettre de valoriser et de faire rayonner les professions jurilangagières. Il demeure cependant nécessaire d’obtenir des données plus précises afin de cibler les enjeux prioritaires et d’y trouver des solutions adaptées.

À propos de l’auteur

RaphaĂ«l Bosco est diplĂ´mĂ© de l’UniversitĂ© de Sherbrooke en traduction professionnelle et dĂ©tenteur du DESS en traduction juridique de l’UniversitĂ© şÚÁĎÉç. Il a Ă©galement travaillĂ© comme assistant de recherche pour divers projets, tant en jurilinguistique qu’en revitalisation des langues autochtones.

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